Alors que les conditions de vie en milieu carcéral semblent avoir perdu tout intérêt médiatique, le récent suicide
d'un détenu à la centrale de Saint-Maur et dans une moindre mesure la condamnation à une peine dépassant l'entendement de Bernard Maddof ont réveillé mon attention.
D'autant que parallèlement Le Monde a versé une nouvelle pièce au dossier. L'influent quotidien national propose en effet le visionnage d'un documentaire intitulé « Le corps incarcéré » qui présente quatre témoignages croisés d'anciens détenus (une femme, Hélène, et trois hommes, Hugo, Hafed et Djemel) illustrés par un diaporama. L'esthétisme
des photos qui le composent n'a d'égal que la force des témoignages, avec une mention spéciale pour les effets visuels et sonores grâce auxquels ce documentaire se rapproche d'un
film.
"Tu soignes la vitrine et t'esquinte l'arrière boutique"
Ce dernier se subdivise en cinq parties, Le corps fouillé, Le corps de l'autre, Le corps malade, Le corps retrouvé et Le corps libéré. Les quatre témoins
racontent les fouilles corporelles, teintées d'humiliation, les difficultés liées à la sexualité impossible ou du moins sans intimité, et les risques sanitaires, les cheveux et les dents qui
tombent. La musculation constitue alors un exutoire. "Tu sculptes ton corps. T'es un peu plus fier de montrer ton corps", confie l'un des anciens détenus. "On créé une carapace", complète un
autre. "Tu soignes la vitrine et t'esquinte l'arrière boutique. (...) On est dans la brutalité du sport" analyse-t-il avec lucidité.
Cruelle absence de porte de sortie
Les quatre témoins évoquent également les mutilations. "J'aurai pu mourir. J'aurai pu crever", se souvient l'un d'eux avec un détachement dans la voix qui glace le sang. Les ingestions de
fourchettes, piles ou lames de rasoir constituent un appel au secours déclenché par l'absence d'espoir, de porte de sortie. "Je m'étais accroché à la fenêtre avec un câble de télé. Il a cassé
manque de pot" "raconte l'un des ex-détenus en ponctuant l'anecdote d'un éclat de rire qui lui aussi met mal à l'aise.
De la violence autant dans les maux que dans les mots
Les quatre expériences croisées de la prison montrent que la violence s'y trouve tout autant dans les maux que dans les mots. "La mort est administrative. Quand tu
meures en prison, ils appellent ça une libération quand on est condamné, quand on est prévenu, ils disent s'est soustrait à la justice en cas de suicide".
Espérons que cet excellente enquête ravivera le débat sur les conditions de vie en milieu carcéral car il appartient à toute société de s'assurer que la prison soit seulement une privation de
liberté mais en aucun cas une voie sans issue, une manière de briser un individu et de le priver de toute opportunité de se réhabiliter, une peine de mort à petit feu.
Pour voir le documentaire, cliquer sur le lien : link
Chronique de la violence pénitentiaire ordinaire
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